La rédaction de CGV est un passage obligatoire pour tout site marchand. Cependant, devant cette tache parfois compliquée, certains sites de e-commerce n’hésitent pas à plagier les CGV d’un autre site, pensant ainsi gagner du temps et de l’argent. Me Aurélie Dellac est avocate en droit économique. Avec 8 ans d’expérience dans les domaines du droit de la consommation (e-commerce, vente à distance, soldes et promotions…), du droit de la distribution (contrats et réseaux de distribution, relations fournisseurs-distributeurs), et du droit de la concurrence (fusions et acquisitions, joint ventures, cartels et abus de position dominante), Elle travaille aussi bien avec des grands groupes internationaux qu’avec des PME ou des particuliers. Elle a exercé en France, en Belgique et à Singapour, maîtrisant ainsi parfaitement les problématiques du droit français, européen et des pays de l’ASEAN. Elle nous explique dans cet article pourquoi la copie de CGV est interdite, comment se protéger contre un tel acte, et quelles sont les sanctions.
Pourquoi des CGV ?
Les CGV comme base de la relation commerciale
Les CGV constituent la base de la relation contractuelle et commerciale entre vendeur et acheteur, que ce dernier soit professionnel ou non. Dans les relations B to B (« Business to Business », autrement dit entre professionnels), l’établissement de CGV est obligatoire. En application de l’article L 441-6 du Code de Commerce, les CGV doivent être communiquées à tout acheteur qui en fait la demande.
Informer le consommateur
Dans les relations B to C (« Business to Consumers », autrement dit entre professionnels et consommateurs), l’établissement de CGV n’est en principe pas obligatoire.
Cependant, des obligations d’information spécifiques s’appliquent lorsque le client a la qualité de consommateur. Dans ce cas, le commerçant (vendeur ou prestataire de services, y compris d’hébergement, de transport, de restauration et de loisirs) doit informer le client sur les prix, les limites éventuelles de responsabilité contractuelle, les conditions particulières de la vente et les dates de livraison.
De plus, la vente en ligne est soumise à des règles spécifiques, à quelques exceptions près (notamment les prestations de services d’hébergement, de transport et de restauration devant être fournis à une date ou à une périodicité déterminée) : le consommateur dispose par exemple d’un droit de rétractation de sept jours francs. Si le commerçant n’informe pas le consommateur des conditions et modalités de ce droit, le délai de rétractation est étendu à trois mois et le fournisseur s’expose à des sanctions pénales et civiles.
Les CGV assurent la sécurité juridique de l’ecommerçant
L’établissement de CGV, et leur diffusion en ligne, permet aux sites de e-commerce de remplir ces obligations en termes d’information du consommateur et assurent donc la sécurité juridique du commerçant dans ses relations commerciales. De plus, cette transparence sur leur politique de vente permet aux sites de e-commerce de s’attirer la confiance des consommateurs, car ces derniers savent ainsi à quoi s’attendre en termes, par exemple, de frais de livraison ou de politique de retour.
L’établissement de CGV est donc essentiel pour les sites de e-commerce. Cependant, celles-ci doivent être rédigées avec soin, car le code de la consommation sanctionne les clauses abusives dans les rapports entre professionnels et consommateurs, de même que les pratiques commerciales trompeuses ou déloyales.
La copie de CGV est formellement interdite
Les Conditions Générales de Vente font partie des investissements humains, intellectuels et financiers que met en œuvre une société pour s’attirer la confiance de la clientèle. Comme la Cour d’appel de Paris l’a rappelé dans l’arrêt Kalipso / Vente Privée du 24 septembre 2008, les CGV « ont vocation à garantir à la clientèle une sécurité juridique et à participer par là-même au succès de la relation commerciale proposée ».
La copie servile de CGV constitue un acte de parasitisme économique car la société qui copie s’approprie ainsi indûment les investissements réalisés par une autre société.
De plus, dans la mesure où les CGV reflètent la politique commerciale de l’entreprise, elles doivent être adaptées à la spécificité des produits ou services vendus.
Les risques de la copie de CGV
Outre les questions de parasitisme économique, la reprise à l’identique des CGV d’un concurrent est dangereuse. Les CGV sont bien souvent l’unique document contractuel qui définit la politique commerciale du commerçant et délimite sa responsabilité.
Elles doivent donc être rédigées avec soin, et être adaptées à l’activité du commerçant et aux particularités des produits vendus ou des services rendus.
Ainsi, les règles ne sont pas les mêmes dans la vente entre deux professionnels ou entre un professionnel et un consommateur, ou encore pour la vente « en dur » et la vente en ligne.
Reprendre à l’identique des CGV qui ne sont pas destinées à l’activité de l’entreprise qui les copie l’expose donc à manquer à ses obligations légales. Ainsi par exemple, si un site de B to C reprend les CGV d’un site de B to B, il manquera l’indication du délai de rétractation applicable dans les relations B to C.
La copie de CGV est du parasitisme
Dans l’affaire Kalypso / Ventre-privée.com, la société Vente-privée.com reprochait la société Kalypso d’avoir copié ses CGV. Elle fondait sa demande sur plusieurs fondements juridiques : la contrefaçon, la concurrence déloyale et le parasitisme économique.
La Cour d’Appel de Paris a rejeté les griefs de contrefaçon et de concurrence déloyale. D’une part, la Cour a jugé que la copie des CGV ne constituait pas une contrefaçon car les CGV n’étaient pas une œuvre de l’esprit originale susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. D’autre part, elle a considéré que la société Kalypso n’avait pas commis d’acte de concurrence déloyale car la reproduction des CGV par cette dernière ne portait pas sur des produits, mais sur le document qui régit les conditions de la vente, qui selon la Cour n’est pas à lui seul susceptible de créer la confusion entre les deux sociétés dans l’esprit du consommateur.
En revanche, la Cour a jugé que la copie des CGV de Vente-privée.com par la société Kalypso constituait bien un acte de parasitisme économique. En effet, la société Kalypso avait profité indument et sans bourse déliée des investissements intellectuels et financiers réalisés par Vente-privée.com dans l’élaboration de ses CGV. La Cour rappelle à ce titre que le parasitisme est caractérisé « dès lors qu’une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements ».
Le parasitisme économique repose sur les règles de la responsabilité civile. En l’espèce, l’acte de copie des CGV constituait une faute de Kalypso, qui avait causé un préjudice à la société Vente-privée.com. La Cour a ainsi condamné la société Kalypso à payer à la société Vente-privée la somme de 10 000 euros en réparation de ce préjudice. La société Vente-privée demandait également la publication du jugement à venir sur le site de la société Kalypso, mais cette dernière ayant retiré les CGV litigieuses de son site, la Cour n’a pas ordonnée cette mesure.
Comment se protéger contre la copie de ses CGV ?
Quand les CGV sont rédigées sur mesure par un avocat pour un site de e-commerce, ce dernier peut aisément en prouver l’origine et l’antériorité en cas de contestation.
Il est également possible de faire réaliser un constat internet par huissier de justice. Un tel constat internet doit respecter les conditions suivantes pour avoir valeur probante :
– l’huissier doit veiller à ce que l’environnement du constat soit exempt d’éléments de perturbation (virus, logiciel malveillant) ;
– l’huissier doit préciser le matériel et les logiciels utilisés, l’architecture du réseau local (absence de proxy, adresse IP utilisée, description des pare-feu) et des éléments relatifs au fournisseur d’accès à internet ;
– l’huissier doit procéder à des diligences techniques successives (capture du flux réseau, analyse virale, analyse des logiciels espions, suppression de l’historique, synchronisation de la date et l’heure, paramétrages)
– l’huissier doit décrire, répertorier et enregistrer le contenu de ses constatations ;
– l’huissier doit procéder, à la fin de son constat, à la capture des informations sur la cible (header du code source, adresse IP, noms de domaine).
Si le constat ne respecte pas ces conditions, il ne sera pas pour autant dépourvu de valeur probante mais ne vaudra que commencement de preuve par écrit.
Ainsi, il sera possible de prouver l’existence de CGV sur un site de e-commerce, soit lorsqu’elles ont été rédigées par un avocat qui peut en certifier la date, soit lorsqu’elles ont fait l’objet d’une capture par huissier de justice. Il sera ainsi plus aisé de prouver l’antériorité des CGV par rapport à celles figurant sur le site du concurrent, y compris si ce dernier n’a pas de moyen de preuve de la mise en ligne desdites CGV.
En revanche, contrairement à ce qu’on peut lire quelquefois, il n’est pas possible de protéger ses CGV via le droit d’auteur (car il ne s’agit pas d’une œuvre de l’esprit) ou via un dépôt à la CNIL, qui ne s’occupe que des données à caractère personnel.
Que faire en cas de copie de CGV ?
Il faut dans un premier lieu le contacter et lui demander de retirer les CGV de son site, via une mise en demeure.
Si cela ne suffit pas, il est possible d’introduire un recours, éventuellement en référé, sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (parasitisme économique). On demandera alors au juge d’ordonner au concurrent de retirer les CGV de son site et on pourra demander des dommages intérêts en réparation du préjudice subi.